Ciudad
Juárez, la cité des mortes
La ville de Juárez, située à la frontière du
Mexique et des États-Unis, est l’une des villes les plus
dangereuses du monde. Elle est devenue en vingt ans la capitale du
crime et de la drogue. Sa particularité ? L'assassinat de milliers
de femmes en toute impunité. Depuis le premier crime en 1993, 4 000
cadavres de femmes violées, torturées et mutilées ont été
retrouvés. 77% des crimes n’ont jamais été résolus.
Comment expliquer une telle situation ?
Plus de 1,5 millions d’habitants vivent dans
cette ville, bastion de l’un des plus importants cartels de drogue
d'Amérique latine, le cartel de Juárez. C’est l’un des points
frontaliers les plus transités de la planète. Avec un trafic de 150
000 personnes par jour, impossible de contrôler pour les autorités.
Un tiers de drogue à destination des États-Unis traverse la ville.
Les narcotrafiquants, très présents, font régner un climat de
violence quotidienne.
Qu’est ce qui plaît tant aux habitants de la
ville de Juárez pour y rester ? Le travail ?
En effet, la ville est devenue, grâce à ses
centaines de « maquiladoras » (usines bon marché d’assemblage
délocalisées nord-américaines, européennes et asiatiques), un
pôle industriel et commercial important. Des milliers de
travailleurs viennent ainsi s’installer dans la région dans
l’espoir de trouver un travail, même si celui-ci est mal rémunéré
(6 dollars par jour). Parmi eux, essentiellement des femmes, âgées
entre 15 et 25 ans, qui sont obligées d’arrêter leurs études
pour gagner leur vie. Leur participation de plus en plus active au
marché du travail a augmenté la part de chômage des hommes dans la
région. Et le machisme n'a cessé de se renforcer ces dernières
années. Ces jeunes femmes sont donc indépendantes, mobiles mais
vulnérables. Ce sont des proies faciles à atteindre et difficiles à
protéger.
Malu Garcia est la sœur d’une des nombreuses
jeunes filles assassinées en 2001 en sortant d’une “maquiladora”
de Ciudad Juárez et lutte, comme beaucoup d’autres familles, pour
que justice soit faite. Elle explique que si tant d’assassinats ont
pu être commis sans que rien ne soit fait c’est que les autorités
sont complices de ces crimes. Elles donnent la possibilité de tuer
sans être condamné. C’est clairement le gouvernement mexicain qui
est remis en cause. Mais Malu a de l’espoir: bien que la mort de sa
sœur ne soit peut-être jamais résolue, elle sait que les efforts
des différentes associations auront un jour un résultat.
Depuis les années 1990, les meurtres des femmes
de Ciudad Juárez ont attiré l’attention du monde entier grâce au
travail d’ONG qui dénoncent
les milliers de meurtres non résolus
et cachés par la police. “Casa Amiga” est l’une des ONG les
plus connues mais n’a
pas empêché sa fondatrice Esther
Chavez Cano a d'être froidement assassinée. De nombreux films et
documentaires retracent également le féminicide dont sont victimes
ces femmes, comme le film “Les Oubliées de Juárez” (sorti en
2007) de Gregory Nava qui raconte l’histoire d’une reporter
américaine envoyée par son journal pour enquêter sur ces
disparitions.
Heureusement quelques arrêtés internationaux ont
été établis à l’encontre du gouvernement mexicain suite à son
évidente inaction face à ces crimes. Il aura fallu dix ans pour que
le gouvernement se sépare de ses membres corrompus et pour qu'il
réagisse enfin contre ce féminicide. Dans une ville où règne la
violence et la drogue, il est difficile pour les autorités d'assurer
la sécurité et encore plus difficile d’élucider les meurtres
lorsque ceux-ci n'ont pas été traités rigoureusement dès le
début. La situation est loin d'être résolue et Ciudad Juárez
demeure toujours “la ville qui tue les femmes”.
Claire Peters
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